Manifeste affirmant le caractère un et divers de la langue d'Oc

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Ive Gourgaud

#137 Re:

2012-09-09 00:03

#134: JF Brun -

Vous dites: "Et pour défendre le Cévenol, syntaxe, phonétique, textes, vous devinez que je vous approuve à 200% ... je fais pareil pour le montpelliérain. D'ailleurs j'aurais vraiment du mal à faire de ces deux parler des "langues d'Oc" différentes! ", et considéré de votre point de vue occitaniste, je le conçois parfaitement. Mais je suis né d'une mère qui est des confins des parlers d'oc avec les français (tout près de Montluçon) et d'un père qui est des confins des parlers d'oc avec les francoprovençaux (tout près de Firminy), alors je trouve que ces "différences" ou ces "proximités" restent toujours relatives: pour moi un parler "francoprovençal" de la vallée du Gier n'est pas étranger à mon patois de St-Didier-en-Velay, et d'ailleurs il y a un occitaniste qui veut publier EN GRAPHIE OCCITANE l'oeuvre d'un poète félibre de cette région de Firminy, parce qu'il costate lui aussi que c'est "la même langue". Bref le contact étroit avec les parlers-frontières montre qu'il n'y a... pas de frontière, en tout cas pas de ressentie comme telle par les usagers (j'avais fait mon mémoire de maîtrise, à mon époque occitaniste, sur ces parlers-frontière) Les frontières sont celles que notre culture, notre formation, notre idéologie placent de façon radicale, "pour faire propre" ou plutôt pour simplifier les choses. Après, on affirme sans rire que c'est une donnée "scientifique", que d'ailleurs "tout le monde sait cela", et le tour est joué. Voyez le fameux "serbo-croate", qui n'aura pas résisté à la fin de la Yougoslavie:à l'heure actuelle (vous devez en savoir quelque chose au PEN), essayez de leur dire qu'ils parlent la même langue! Pareil pour les Corses, qui "techniquement parlant" (merci Philippe!) sont de langue "italienne" mais se sentent de langue corse; et on pourrait multiplier les exemples, sans même sortir d'Europe: croyez-vous qu'il existe de vraies différences entre biélorusse et russe? Entre le biélorusse parlé en Pologne (Bialystok) et le polonais de la même région ? Entre le galicien et le portugais ? Entre le slovène et le croate? Entre le macédonien et le monténégrin ? Tout est alors question de "feeling" comme vous dites, et il n'y a rien de plus agaçant que ces occitanistes qui veulent diffuser leurs "vérités" avec ces "tout le monde sait bien que..." ou "ilo est évident que..." ou "les linguistes sérieux disent que..."

Et c'est précisément cela qui m'agace dans votre Manifeste, ces "évidences" qui n'en sont que pour vous. Elles sont respectables bien sûr, mais elles ne sont pas forcément partagées et de plus mes évidences à moi me semblent tout aussi respectables. je suis sensibles aux variétés, vous êtes sensible à l'unité... or toute langue est faite d'unité ET de variété.

Des langues, comme vous le déplorez, il en meurt tous les ans... mais il en naît aussi: du Latin sont nées plein de jolies petites langues (petites par rapport au latin, hé...), alors pourquoi la naissance de "petites langues" comme le Niçois ou le Cévenol serait-elle inenvisageable? Leur trop grande ressemblance avec leurs voisines ? Je viens de vous donner quelques exemples, en Europe, d'énormes ressemblances qui n'empêchent pas la différentiation. Non, il n'existe aucun critère "scientifique" pour déclarer qu'il n'y a qu'UNE langue d'oc et pas davantage pour déclarer le contraire! Le feeliong, toujours, le sentiment d'appartenir à une communauté forte et consciente (je parle des Cévennes), et aussi, pourquoi pas, le sentiment très positif que la langue peut se sauver à ce niveaude proximité, davantage qu'avec une immense Occitanie.

Prenez le cas de ce jeune écrivain qui a écrit un immense roman en 3 tomes: il a cru à cette "unité de la langue, dans l'espace comme dans le temps", et du coiup il a allègrement ùmélangé formes médiévales et modernes, formes gasconnes et provençales: un monstre hybride qui lui a valu plus de lazzi que de louanges. Votre idéologie, si elle est mal assimilée, peut avoir des conséquences dramatiques EN LITTERATURE: vous savez bien qu'il faut bien connaître (et aimer, donc respecter) une FORME LOCALE pour écrire une langue authentique, et que le mélange des genres conduit à des catastrophes. Bien sûr, il y a Mistral qui lui a du génie et peut donc choisir (avec parcimonie, quand même) des mots dans d'autres parlers que le sien: pour un jeune écrivain, c'est un exemple qui peut être fatal:il faut dire aux jeunes écrivains qu'ils doivent obligatoirement être ancrés dans un parler. Or votre idéologie tend à produire le contraire: des jeunes qui certes parlent sans problème (j'en ai été plusieurs fois le témoin), mais une langue aseptisée, un espéranto farci de METEIS et de AMB deux formes qui résument à elles seules
par leur imbécile volonté de "faire l"unité", le danger que courent nos langues authentiques:même Taupiac s'en est rendu compte, c'est dire à quel point AMB est monstrueux! Détail, me direz-vous? mais le diable est dans les détails, comme vous savez.

Bref je ne pourrais signer un Manifeste qui exprime de façon unilatérale ce qui devrait être l'objet d'un consensus après discussions et concessions  de part et d'autre

Réponses

Philippe Martel

#140 Re: Re:

2012-09-09 10:35:34

#137: Ive Gourgaud - Re: Attention avec tes contre-exemples : c'est l'histoire et la politique qui font que le corse, qui était perçu au XVIIIe comme la variante parlée du toscan des lettrés et des curés, est devenu une langue à part dans le discours de ses défenseurs, après un siècle d'éradication par la France du toscan écrit, et après la naissance d'une conscience corse aussi anti-italienne (les Lucchesi, ces immigrés pauvres) qu'anti "pinzzuti". C'est l'histoire et la politique qui font que le galicien est en Espagne (et a subi une grande influence du castillan) et que le Portugal ne l'est pas, d'où son nom. C'est l'aspiration à la création d'une nation illyrienne qui amené au XIXe siècle à la naissance du serbo-croate, malgré la différence entre orthodoxes, catholiques et musulmans, et ce sont les micronationalismes à la con  du XXe qui ont mis fin à l'illusion, et j'ai du mal à trouver que c'est une bonne nouvelle. Je ne sais ren du biélorusse de Byalistock, par contre il me semble que les différences entre slovène et croate sont considérables. De toute façon, c'est sans importance pour ce qui nous concerne : si tu veux que le cévenol émerge comme langue à part, c'est très simple : tu lèves une armée de vigoureux mâles de la terre à Saint-Jean du Gard, tu boutes les Français et les Occitans hors de tes vallées, et tu proclames la naissance de la Nation Cévenole. Après, tu gères comme tu l'entend les différends catho/huguenots, mais c'est ton problème. Il n'est pas impossible que Vauzelle voie dans le soutien à son provençal particulariste le moyen de se doter d'un argument identitaire fort pour justifier l'existence de PACA, au risque de mêler à son provençal des parlers alpins qui n'ont rien à voir. mais c'est un mirage idéologique, ou une ruse de com' politicienne, pas plus. Face au Ministère, il est plus sage et plus réaliste de faire front commun, autour de la double affirmation de l'unité de l'ensemble d'oc et de la dignité de toutes ses variantes, étant entendu que la variation n'interdit pas l'intercommunication (sinon, le cévenol ne sera pas lu en dehors de Saint-Jean du Gard, sauf peut-être un peu au Pompidou). C'est de ce point de vue, très pratique, lié à la gestion de nos revendications que je me place. Le reste, les sentiments d'appartenance spécifique des uns et des autres, c'est la vie, mais ça ne doit pas interférer avec les intérêts communs à tous nos parlers qui ne s'en sortiront qu'ensemble.

C'est qui, ton félibre de Firminy ? Une enquête des années trente semble indiquer que ce qui s'y parlait, c'était de l'occitan (désolé). Et ce que montre l'expérience, c'est la difficulté d'appliquer les règles de la graphie occitane, adaptée au diasystème phonologique d'oc à un parler apartenant à un autre diasystème. Tu as essayé ?